Conseils d’une observatrice sur l’aménagement des bureaux

Que se passe-t-il vraiment dans un bureau? Le personnel peut-il se concentrer sur ses tâches et travailler efficacement? À quoi servent les salles de réunion? Les résultats sont-ils à la hauteur des attentes de l’employeur?
La socio-anthropologue danoise Eva Bjerrum observe le comportement des employés de bureau en vue de créer des cadres de travail basés sur les besoins réels.

Il existe un grand nombre de recherches et d’enquêtes sur le lieu de travail qui reposent sur des questionnaires, des entretiens approfondis, des mesures du niveau sonore, etc.. Mais peu d’études observent réellement ce qui s’y passe pour compléter les réponses aux questionnaires.

Social anthropologist Eva Bjerrum

L’Alexandra Institute est un cabinet de recherche et de conseil spécialisé dans les technologies de l’information et de la digitalisation. Il est installé à Aarhus, au Danemark. Eva Bjerrum est analyste organisationnelle senior. Elle se concentre sur l’utilisateur: en plus de la technologie, elle porte un regard sur l’organisation et les conditions matérielles sur le lieu de travail. Ces 20 dernières années, elle a observé plusieurs types de milieux de travail, des établissements scolaires et autres lieux d’enseignement aux musées et, bien sûr, aux bureaux. La compagnie laitière Arla et le laboratoire pharmaceutique Novo Nordisk sont deux grandes entreprises qui ont fait appel l’expertise en anthropologie sociale d’Eva Bjerrum et de ses collègues dans le but d’optimiser le cadre de travail de leurs collaborateurs.

«Nous sommes des observateurs passifs; nous sommes extrêmement discrets. Au bout d’un moment, les gens oublient qu’on est là et se comportent comme ils le faisaient avant notre arrivée», résume Eva Bjerrum.

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On note les conflits habituels dans les bureaux décloisonnés: certains veulent s’adonner entièrement à leur travail, d’autres parlent beaucoup au téléphone, tandis que d’autres encore discutent fréquemment entre eux. Ça peut devenir compliqué de savoir quel type de travail est exécuté dans ce genre de cadre.

Des notes impartiales

Pour obtenir une vue d’ensemble, les socio-anthropologues observent toutes les parties de l’espace de travail à différents moments. Ils regardent et enregistrent ce qui se passe, quelle tâche est effectuée et où elle l’est. Est-ce que les salariés parlent beaucoup au téléphone, se concentrent-ils sur leur travail, parlent-ils naturellement ou chuchotent-ils entre eux? Ils étudient également a culture en matière de réunions: où ont lieu les réunions en présentiel et les réunions à distance, combien de personnes se trouvent dans les salles de réunion à la fois?

«Nous prenons des notes sur l’environnement acoustique, regardons s’il y a beaucoup de gens qui se déplacent ou si c’est plutôt calme et tranquille. Nous enregistrons tous ces détails de manière impartiale, nous ne décrivons que ce que nous voyons. En plus de ces détails, nous dépeignons également l’impression générale. »

Une fois ses observations terminées, Eva Bjerrum résume les principales caractéristiques des différents services.

«On constate clairement qu’il n’y a souvent aucun endroit où les collaborateurs peuvent vraiment se concentrer sur une tâche. On remarque les conflits habituels dans les bureaux décloisonnés: certains veulent s’adonner entièrement à leur travail, d’autres parlent beaucoup au téléphone, tandis que d’autres encore discutent fréquemment entre eux. Ça peut devenir compliqué de savoir quel type de travail est exécuté dans ce genre de cadre.»

Les salles de réunion pour se concentrer

L’utilisation des salles de réunion est un exemple qui ne correspond probablement pas à l’intention initiale au moment de la conception des locaux. À Aarhus, Eva Bjerrum et un collègue ont étudié les locaux d’Arla et ses 700 salariés pendant 60 jours.

«Il y avait beaucoup de salles de réunion pouvant accueillir jusqu’à dix personnes. Mais en général, il n’y en avait qu’une ou deux à la fois. Ces espaces servaient souvent à accomplir des tâches demandant de la concentration plutôt qu’à des réunions. Et souvent, les mêmes y restaient toute la journée. S’ils avaient réussi à réserver une salle, ils n’étaient pas disposés à la libérer.»

À la suite de cette étude d’anthropologie sociale, Arla a apporté plusieurs modifications à ses locaux d’Aarhus. Il y a maintenant une bibliothèque où ses collaborateurs peuvent se concentrer et étudier un problème en profondeur; les grandes salles de réunion ont été divisées en salles plus petites, et des petites cabines ont été créées pour les réunions à distance. Le coin repos, qui était auparavant un espace ouvert entouré de postes de travail, en est désormais séparé.

«La solution en place quand on a commencé nos observations n’était pas à la hauteur des besoins réels. De nombreux salariés avaient recours au télétravail plutôt comme une échappatoire que comme une possibilité de flexibilité.»

Le travail à domicile considéré comme efficace

Il y a 15 ans, Eva Bjerrum a participé à un projet de recherche qui portait sur l’aménagement du cadre de travail des professions intellectuelles. Ce projet a montré que nombreux étaient ceux qui qualifiaient de «réel» ou «efficace» un travail que l’on peut planifier à la maison puis exécuter au bureau dans le calme. Les collègues qui veulent poser des questions ou discuter de sujets qui provoquent une interruption sont perçus comme des éléments perturbateurs.

«Pendant la pandémie, j’ai interrogé 200 salariés d’entreprises et de collectivités, et j’entends à chaque fois le même refrain. Le travail à domicile et les réunions en distanciel sont décrits comme très efficaces. On organise son temps comme on le souhaite, les réunions sont courtes et clairement structurées, et on n’a pas à se rendre au bureau et à en revenir.»

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Le lieu de travail permet de rester en contact avec ce qui se passe, avec les collègues. C’est là aussi que l’on trouve un sentiment d’appartenance, de l’énergie et de l’humour – au prix de quelques perturbations.

Le bureau va-t-il être relégué aux oubliettes?

Quand Eva Bjerrum parle des résultats de ses observations et de ses entretiens, une question se pose naturellement: doit-on abandonner l’idée d’espaces de travail partagés pour les employés de bureau?

«Non. Le lieu de travail physique contribue à la satisfaction professionnelle. C’est là que l’on collabore et que l’on obtient une réaction rapide sur ce qu’on fait. Le lieu de travail permet de rester en contact avec ce qui se passe, avec les collègues. C’est là aussi que l’on trouve un sentiment d’appartenance, de l’énergie et de l’humour – au prix de quelques perturbations.»

Dans les enquêtes qu’Eva Bjerrum a menées, les sondés ont fréquemment mentionné quelques bons côtés aux réunions en présentiel: on y établit un contact visuel ici et on y est mieux à même de lire le langage corporel; on discute, on trouve des idées et on s’encourage mutuellement. Elles permettent également d’avoir des conversations plus personnelles.

«Quand je pense à ces bons côtés, je me demande s’ils contribuent à l’efficacité. Je pense que nous avons besoin d’une définition plus élargie de l’efficacité. Il ne s’agit pas seulement de sa propre efficacité – mais de notre efficacité collective.»

Le bureau paysager a encore sa place

Eva Bjerrum estime que le débat sur les bureaux paysagers est trop simpliste et partial. Le bureau décloisonné n’est pas une solution unique qui se ressemble partout.

«Sur un lieu de travail, il peut y avoir dix collaborateurs qui ont choisi de partager un espace ouvert collectif. Et dans un autre, il peut y en avoir 200 qui sont obligés de cohabiter dans le même espace. On ne peut pas comparer les deux», affirme-t-elle avant d’ajouter:

«Il est tout à fait faux de dire que l’on peut autant se concentrer sur son travail dans un bureau décloisonné que dans un bureau privé. Mais en même temps, on constate que quand les salariés ont d’autres options, comme se déplacer ailleurs, beaucoup aiment travailler dans un open space.»

Chemin faisant, il est possible de tomber sur un collègue qui vous arrête et commence à parler d’un sujet complètement différent de celui qui vous préoccupe. On peut se sentir dérangé, éventuellement un peu irrité, ou avoir l’impression de perdre du temps, de la concentration et donc de l’efficacité. Eva Bjerrum veut changer cette idée:

«C’est l’occasion pour quelqu’un d’autre de profiter de vos connaissances, et pour vous de mieux comprendre ce que pense votre collègue. C’est peut-être en fait la réunion la plus efficace de toutes.»


Par: Lars Wirtén

L’anthropologie sociale

L’anthropologie sociale est l’étude de l’homme dans des contextes sociaux. L’anthropologie sociale examine les attitudes et les comportements sociaux des êtres humains dans une perspective globale. Les grands thèmes fréquents en anthropologie sociale sont:

  • les relations sociales entre et au sein des groupes;
  • la structure et l’organisation sociales de la société;
  • le lien entre la façon dont les êtres pensent et leurs schémas comportementaux;
  • la façon dont les individus vivent et se comportent par rapport aux contextes sociaux et aux changements dans ces contextes.

Source: Wikipedia